Du développement durable à l'Agriculture Durable

Dès 1972, le Club de Rome met en avant dans son célèbre rapport «Halte à la croissance » (Meadows D. et al., 1972) la nécessité de concilier une croissance économique qui tienne compte de la fragilité des équilibres écologiques et de la rareté des ressources naturelles. Ce choc culturel d'une « croissance zéro » dans un monde alors trop peu disposé à entendre ce type d'avertissements a toutefois contribué à l'émergence du concept d'écodéveloppement à Stockholm (juin 1972) lors de la première conférence mondiale pour l'environnement. Puis de 1983 à 1987, les travaux de la Commission Mondiale sur l'Environnement et le Développement débouchent sur les conclusions émises dans le rapport Brundtland (1987) avec la notion de développement durable "mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs". Ce principe est adopté politiquement lors du sommet mondial de la terre de Rio en 1992 puis amplifié avec le sommet mondial du développement durable de Johannesburg (2002).

Même si ce terme de développement durable n'intègre pas d'idées véritablement nouvelles, Froger (2007) souligne toutefois (1) qu'il systématise les impacts négatifs des activités économiques et humaines sur l'environnement et (2) « que les questions d'environnement et de développement sont alors considérées conjointement et non de manière exclusive ». Le développement durable est alors reconnu comme « un développement économiquement viable, écologiquement durable et socialement équitable ». Mais il se pose la question avec Agenda 21 de décliner à l'échelle mondiale puis à chaque échelle intermédiaire de décision (Etat, collectivités locales, entreprises, citoyens) cet objectif pour l'ensemble des activités.
L'agriculture n'échappe pas à ce questionnement global sur sa contribution à un développement durable des activités productives compte tenu des caractéristiques propres des activités agricoles qui ont un impact environnemental direct sur les ressources naturelles, qui produisent des biens alimentaires et qui sont consommatrices d'espaces naturels. Dans l'Union Européenne, les activités agricoles se caractérisent par leurs relations très étroites qu'elles entretiennent avec leur environnement naturel ou social compte tenu de la diversité de des formes d'activités et de l'espace très important qu'elles occupent (50 % du territoire en 2003).

Initialement la Politique Agricole Commune mise en œuvre à partir de 1957 a laissé de côté la question des impacts environnementaux et sociaux de l'agriculture. Le modèle agricole dominant qui en résulta, qualifié de « productiviste », s'est traduit par des systèmes de production agricole très consommateurs d'intrants chimiques (produits phytosanitaires, engrais minéraux), avec une forte mécanisation des moyens de production, permettant ainsi de s'affranchir ou de se déconnecter des potentialités maximales du milieu naturel et des contraintes locales de main d'œuvre. Au final, cette forme d'agriculture, en privilégiant croissance des rendements et performances techniques, est aujourd'hui responsable de nombreux impacts négatifs sur les ressources naturelles (atteintes sur la qualité et la ressource quantitative des eaux superficielles et profondes, pollutions du sol ou de l'air, diminution forte de la biodiversité sauvage et domestique et homogénéisation des paysages).

Depuis le début des années 90, les dommages occasionnés par l'agriculture sont devenus l'objet d'un examen approfondi par de nombreux acteurs extérieurs au monde agricole (Tauber, 2007). C'est pourquoi, les agriculteurs ont adapté leur activité première de production de biens agricoles alimentaires pour tenir compte des nouvelles demandes portées par les parties prenantes de la société civile qui se sentent désormais directement concernées par les effets induits de ce seul modèle initialement productiviste. Les consommateurs sont également ainsi devenus plus attentifs à la qualité des produits agricoles qu'ils consomment et veulent être « rassurés » sur les atteintes écologiques ou les risques sanitaires qui pourraient s'y rattacher (Ramonet, 2003). L'agriculture n'est plus considérée par le législateur comme seulement productrice de matières premières agricoles mais il lui reconnait également des fonctions de fournisseur d'aménités et de services environnementaux qui contribuent à façonner territoires et paysages. La Commission Européenne reconnait depuis 1999, cette nouvelle demande en intégrant progressivement ces nouvelles préoccupations sociétales (préservation de la ressource en eau, bien être animal, protection de la biodiversité, érosion des sols, etc.) dans toutes ses politiques communautaires (CE, 1999).
On assiste donc à un double phénomène : (i) une volonté politique d'orienter les aides publiques à la production agricole vers des modes de production plus durables et (ii) une demande sociétale pour que les systèmes de production agricoles développent des produits de qualité avec le moins d'externalités négatives. Cette volonté de promouvoir le développement d'une agriculture durable n'est pas sans poser des questions à l'ensemble de la communauté scientifique et de ses partenaires :

  • Comment définir une agriculture de durable ?
  • Quelles sont ses caractéristiques par rapport aux autres formes d'agriculture ?
  • Comment évaluer le degré d'atteinte de l'objectif de durabilité d'une exploitation ?
  • Existe t il un label agriculture durable?
  • Quels types de soutiens publics sont mis actuellement à la disposition des agriculteurs qui souhaitent s'engager dans la voie de la durabilité de leurs exploitations ?

Nous proposons dans ce papier de faire le point sur les connaissances actuelles et d'apporter un certain nombre de réponses à ces différentes questions.